Halloween

Neamar

Attention, texte psychopathe.

Le bruit d'une porte qui s'ouvre la tira de ses sombres pensées.
L'homme, grand et athlétique, lui sourit et admira ses formes nues. Après quelques instants dérangeants, il arracha son regard de l'hypnotique spectacle et appuya de son long doigt sur un bouton. Quelques secondes après, les premières notes de l'ouverture 1812 de Tchaïkovski résonnaient dans la pièce.
Au moins elle mourrait en musique.


Par pur acquis de conscience, elle tenta – encore ! – de fuir. Mais depuis sa naissance, et par atavisme, elle n'avait jamais pu bouger son corps d'elle même, et cet après-midi ne dérogeait pas à la règle. Tandis qu'elle envoyait des ordres de fuite imaginaires à ses pieds, l'homme ouvrit un tiroir et en tira un immense couteau qu'il aiguisa méthodiquement.

Tchic, thic.
Thic, tchic.
Tchic, tchic.

Chaque frottement de la lame sur le fusil lançait une poussée d'adrénaline dans son cerveau surchauffé, éveillant en elle une peur qu'elle ne pouvait calmer. Elle se souvint des longues soirées d'hiver, alors qu'elle était encore jeune, où l'on racontait ces terribles histoires de torture. C'était donc vrai ‽

Et aujourd'hui, c'était elle, l'infirme, qui se retrouvait dans la salle blanche. Elle observa l'homme, qui semblait calme et détendu ; rien dans sa démarche ne trahissait les sombres pensées qui l'habitait.
Quand il fut près d'elle, il posa sa main sur la tête de la jeune fille. Ce contact fut lisse : elle était désormais chauve ; une ultime humiliation qui déclencha une vague irrépressible de sanglots.

Elle n'attendait aucune humanité de la part de l'homme après cet acte de faiblesse, et elle n'en eut aucune : toujours apathique, il profitait de sa paralysie pour caresser ses formes généreuses nourries par une vie d'immobilisme. Ses mains titillaient ses rondeurs, jouant avec chacune des collines de son corps.
Penchant la tête vers elle, il lui susurra d'une voix douce que ce soir, sa dépouille exhibée servirait d'exemple à l'ensemble de la population.

Finalement, cette torture psychologique prit fin. Retirant ses mains inquisitrices, il se saisit de son couteau. Il sembla hésiter – pas longtemps, mais dans l'état où elle se trouvait la moindre fraction de seconde semblait une éternité.
Il se décida pour les yeux. Approchant la lame blanche, il dessina virtuellement le contour pour exercer son geste, puis plongea violemment l'arme dans l'orbite gauche. Un océan de douleur inonda les sens de la victime, des vagues de souffrance balayaient son être, se mélangeant avec le désespoir pour former un sentiment au goût bien plus âpre encore.

L'exécuteur des basses œuvres maitrisait son ouvrage : la plaie était assez profonde pour être incurable, mais pas assez pour causer une mort rapide et libératrice.
Les spasmes se firent soudain plus forts tandis que l'homme tournait le couteau dans la plaie, l'air concentré et observant attentivement sa victime, à l'affût de toute marque de défaillance. Globalement satisfait, il retira son outil, et comme pour s'excuser lui caressa la tête.

Surprise par cette brusque apparition de pitié, elle ne prit pas garde et comprit trop tard quand la lame s'abattit dans son deuxième œil. Elle sentit le sang qui coulait sur son visage, puis entendit, ô horreur suprême l'homme qui jouait avec son œil ensanglanté. Dans son délire, elle croyait entendre des bruits de mastications ; comme s'il mangeait son trophée, souriant sadiquement.

Elle sentit plus qu'elle ne vit – elle eût été bien en peine ! – l'homme qui descendait la lame.

Certains pourraient croire que le condamné profite de ces instants de repos. Il n'en est rien. Aveuglé, il ne peut savoir où et quand se portera le prochain coup ; il en est réduit à craindre, à imaginer l'outil froid pénétrer chaque centimètre carré de sa peau.

Lorsque enfin la lame pénétra son corps, ce fut une libération de l'angoisse qui l'assaillait et le retour de la souffrance physique ; simple, froide et inéluctable. Le couteau déchirait méthodiquement ses lèvres, chair fine et pulpeuse que personne n'avait jamais touché. Face à cette ultime profanation, elle choisit la seule défense qu'elle avait et s'évanouit, comme bercée par les attaques de la géhenne dans son esprit.

Elle fut réveillée par l'insupportable chaleur d'une bougie. Elle n'aurait su la localiser, mais elle sentait les dégâts irréparables causés par les brûlures. Une ultime vague de révolte naquit en elle, rapidement noyée dans l'océan de son désespoir.


Enfin satisfait, l'homme souffla la bougie.
Tout était parfait, et ce soir la dépouille exhibée serait du plus bel effet.
Sans aucune hâte, l'homme alla chercher une éponge et nettoya la pulpe orange qui avait giclé sur toute la table.

Auteur
Neamar
Date
2009
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