Jean Pierre Luminet
Auteur | Jean Pierre Luminet |
Editeur | Lattes |
Date de parution | 2002 |
Nombre de pages | 316 |
Traducteur | -- |
Jean-Pierre Luminet est un astrophysicien, directeur de recherches au CNRS, spécialiste des trous noirs. Sur le site du CNRS, on peut trouver une photo de lui, qui laisse supposer que l’auteur a dans les 40 ans. Un scientifique, donc.
Et pourtant, son ouvrage Le bâton d’Euclide est une œuvre littéraire intéressante et bien écrite, loin de l’habituel jargon associé au chercheur : cela fait treize ans que JP Luminet se consacre à la rédaction de romans « historiques », délaissant les publications scientifiques qu’il affectionnait auparavant. Le bâton d’Euclide s’inscrit donc dans cette optique romanesque, loin des sciences exactes.
L’intrigue se situe en 642, à Alexandrie. Les armées musulmanes, qui se sont lancées à la conquête du monde depuis le décès de Mahomet dix ans auparavant, pénètrent en armes dans la ville. Le chef de ces armées s’appelle Amrou Ban Al-As. C’est un homme cultivé et ouvert, qui se trouve face à un dilemme : que doit-il faire de la célèbre bibliothèque d’Alexandrie, qui contient des centaines de siècles de savoir ?
C’est dans une grande pièce de la bibliothèque qu’il rencontre trois personnages qui seront primordiaux pour la suite de l’intrigue : Philopon, le bibliothécaire en charge, philosophe chrétien presque centenaire, Hypatie, mathématicienne et musicienne et Rhazès, un médecin juif.
Ces trois personnages vont tenter, chacun à leur tour, de convaincre Amrou d’épargner la bibliothèque, en lui racontant les vies des hommes et femmes illustres qui ont aidé cette bibliothèque à briller de mille feux à travers le monde : en commençant par Ptolémée Sôter, le meilleur général d’Alexandre. A la mort du « Grand Conquérant » Alexandre, Ptolémée hérite de la ville, et de la bibliothèque encore vide. C’est lui qui donnera l’impulsion de départ qui permettra la future expansion. Les mesures drastiques prises par Ptolémée pour enrichir le fond culturel de la Bibliothèque sont relatées de façon romancée par Philopon : confiscation des manuscrits de tous les bateaux accostant dans le port,… Puis vient l’histoire de la bible des Septante, ou le récit de la traduction en grec de la Torah : mêlant légende et histoire vraie, le récit est aussi riche en rebondissements qu’un livre de fantasy ! Après cette traduction épique, vient l’histoire d’Euclide, « le plus grand mathématicien de tous les temps ».
D’histoire en histoire, l’Histoire progresse…le temps avance, et sous les yeux du lecteur défilent les vies d’hommes illustres : Aristarque de Samos (le premier à imaginer que la Terre tournait autour du Soleil, et non l’inverse, ce qui lui vaudra des problèmes aves les religieux), Archimède (qui imagina des machines qui irrigueront un siècle plus tard toute la terre d’Egypte), Platon (le célèbre philosophe grec, dont de nombreux écrits sont conservé dans la bibliothèque), Eratosthène (qui eut l’idée d’une terre ronde, et qui mesura son rayon), Callimaque (« l’Euclide de la poésie »)…des hommes illustres, donc, mais aussi des femmes, telle Hypatie d’Alexandrie, (une homonyme de l’Hypatie du roman), mathématicienne, astronome et philosophe.
Dans chaque histoire, on ne trouve pas simplement les faits bruts tels qu’ils sont énoncés plus haut : tout est détaillé, romancé : l’influence des religions, des rois, les méthodes utilisées pour les découvertes, les voyages…et même les anecdotes ! Pour reprendre l’exemple d’Hypatie citée plus haut, des hommes jaloux lui firent interdire l’entrée à la bibliothèque, usant d’une ancienne loi stipulant que l’entrée des femmes dans la bibliothèque n’était toléré que pour « l’amusement » des savants… forçant ainsi Hypatie à enseigner dans les rues, ce qui lui conféra une stature quasi divine aux yeux du petit peuple, qui la considérait comme la réincarnation d’Isis.
De récit en récit, Amrou se laisse convaincre d’épargner la bibliothèque… malheureusement, le calife Omar, à Médine, n’est pas aussi « libéral » qu’Amrou :
Quant aux livres dont tu me parles dans ta dernière lettre, voici mes ordres : Si leur contenu est en accord avec le livre d’Allah, nous pouvons nous en passer, puisque dans ce cas là, le Coran est plus que suffisant. S’ils contiennent au contraire quelque chose de différent par rapport à ce que le Miséricordieux a dit au Prophète, il n’est aucun besoin de les garder. Agis, et détruis les tous.
Les cinquante dernières pages sont une véritable course contre la montre pour les quatre principaux personnages : ils doivent sauver les ouvrages les plus importants de la bibliothèque, avant que le feu de la folie des hommes ne les emporte… mais le choix est vaste, et difficile !
Au final, le livre se termine dans un gigantesque autodafé : la bibliothèque brûlera, ainsi que les milliers d’ouvrages qu’elle contenait, chauffant les thermes de la ville pendant les six mois qui suivirent.
L’une des premières histoires est celle d’Euclide, qui enseignait en dessinant ses démonstrations sur une plage à l’aide d’une canne dorée. Un jour, Euclide décida de disparaitre complètement du musée (la bibliothèque n’était pas seulement un bâtiment rempli d’étagères poussiéreuses, on y trouvait aussi un musée, un zoo…), mais il laissa sa canne à « celui qu’il considérait comme le plus audacieux et le meilleur de ses disciples », Aristarque de Samos. Celui-ci, comme dit plus haut, eut beaucoup d’ennuis avec les religieux, et fut condamné à l’exil…avant de partir, il légua le bâton à Archimède : « Puisse ce bâton t’apprendre à te tenir droit devant les princes et les puissants ».
A sa mort, un disciple d’Archimède récupéra le bâton… et ainsi de suite…
C’est cette canne qui sert de fil rouge entre les histoires, traversant le temps en côtoyant les plus illustres cerveaux de l’humanité…jusqu’à l’épilogue, vraiment surprenant et dont je tairais le contenu ici.
Dans sa postface, l’auteur avoue cependant que cette histoire de bâton est inventée pour les besoins de l’intrigue…
L’auteur s’est inspiré de personnages réels, mais encore une fois, la postface rétablit la vérité :
Dans le livre, la Bibliothèque brulerait suite à l’invasion des troupes musulmanes…en réalité, personne ne sait vraiment comment la bibliothèque disparut (pas même l’auteur, qui l’avoue dans sa postface). Parmi les hypothèses récurrentes, on peut citer les suivantes :
L’auteur prévient dans sa postface : « Vous venez de lire un roman et non pas un essai historique ».
C’est ce mélange de vérités et d’imagination qui m’a particulièrement plu : loin d’un texte aride, l’histoire se lit sans pause, d’un trait. On y apprend beaucoup, on y rit un peu, on y réfléchit encore plus : à quoi tiennent la destinée et le savoir ?
Chargement du sommaire...