Je suis la jeunesse volée de Jack est un article décrivant les liens très forts qui existent entre le livre Fight Club et la bande dessinée Calvin et Hobbes.
Neamar
La lecture de cet article est déconseillée si vous n'avez pas :
Ce court article développera l'idée que le narrateur de Fight Club (Jack) est l'avatar adulte de Calvin ; Fight Club est une redite adulte du monde de Calvin et Hobbes en terme de personnages, concepts, thèmes.
Voyons ça point par point :
Vous n’êtes pas exceptionnels, vous n’êtes pas un flocon de neige merveilleux et unique.
C’est votre vie et elle s’achève minute après minute.
À première vue, les protagonistes principaux des deux histoires semblent bien distincts. Calvin est plein d'un optimisme juvénile, alors que Jack (le narrateur de Fight Club) est un adulte qui se noie dans l'apitoiement. Cependant, il est facile de se rendre compte que Jack est potentiellement l'homme que Calvin deviendra.
D'abord, Jack et Calvin sont très distincts de leurs parents. Dans la BD, les parents de Calvin sont anonymes, ne faisant que quelques rares intrusions dans le monde que Calvin partage avec Hobbes ; tandis que dans Fight Club Jack est « étranger à son père ». Cette absence de lien entre Calvin et ses parents (après vingt ans, on ne connait toujours pas leurs prénoms !) est exprimée par la distance que l'on retrouve avec l'adulte Jack.
Une autre importante similarité ? Les deux personnages sont incapables d'exprimer un quelconque interêt envers la gente féminine, ce dont on reparlera après. Dans le cas de Calvin, il semble dominé par des femmes déterminées et persuasives : l'obsédée scolaire Susie, sa mère tyrannique et la babysitter toute-puissante. Cette domination féminine et la peur qui en découle peuvent mener de façon vraisemblable au rejet de toute forme d'intimité que l'on retrouve chez Jack.
Jack semble être l'homme que Calvin deviendra quand la réalité du monde adulte remplacera sa jeunesse délurée. Sans une vraie structure familiale pour supporter Calvin, et avec l'« aide » d'un tigre imaginaire pour supporter son mental fragile, que deviendra Calvin à l'adolescence ? Jack est clairement une possibilité envisageable…
Un dernier trait de caractère partagé, et qui sera d'une importance majeure pour la suite, est la propension des deux personnages à se créer des amis imaginaires.
Ce qui nous amène à :
Pour mon chef, Tyler m'a dit que si j'étais vraiment énervé, je devais aller au bureau de poste et faire remplir le formulaire de changement d'adresse afin de faire suivre son courrier à Rugby, dans le Dakota du nord.
Jack et Calvin, prisonniers d'un monde qui les opresse, créent un ami imaginaire qui est tout ce qu'ils veulent être. De façon intéressante, ils rêvent de deux personnages qui se ressemblent…
Tyler et Hobbes ont tous les deux une personnalité extravertie, à mettre en comparaison avec l'introversion de leurs créateurs décrite plus haut. Tyler et Hobbes font continuellement des actions que Calvin ou Jack n'oseraient pas faire. Tyler et Hobbes sont calmes et dominent l'esprit qui les a créé.
Dans les deux cas, la création imaginaire est une projection des aspects de la vie que le rêveur souhaiterait avoir, et ces aspects s'avèrent similaires.
Dernière relation importante entre Tyler et Hobbes : la façon dont ils agissent avec la femelle dominante dans la vie de leurs créateurs, en remplissant « quelque chose » qui manque dans la vie de Jack ou Calvin. Dans les deux cas, l'ami imaginaire s'en sort plutôt bien, tandis que Jack et Calvin semblent respectivement impressionnés par Marla et Susie.
Ce qui nous amène à :
La dernière chose que je veux, c'est Marla qui emménage ici, merde après merde.
Cela peut paraître fort, mais ça ne l'est pas. Dans les deux cas, la femme principale est indépendante et intelligente, souffre de problèmes sociaux et est en opposition avec le personnage principal. Lequel est pourtant attirée par elle…
Dans les deux ouvrages, le protagoniste s'aperçoit que son ami imaginaire est à l'aise avec l'intrus féminin. Hobbes parle de Susie comme d'une « fille mignonne » et va même jusqu'à se mettre sur son trente-et-un pour elle, tandis que Tyler a de nombreux rapports avec Marla. De façon distincte, l'ami imaginaire remplit le fantasme du rêveur.
Pourquoi ? Parce que le personnage principal voit dans la femme quelque chose qu'il pense ne pas devoir aimer : Jack trouve que Marla est bien trop « lui » au féminin, Calvin voit Susie comme une fille intelligente et appréciée – ce qu'il n'est pas. Cependant, au-delà de cette iniminité, une attraction apparaît et s'épanouit en s'exprimant à travers l'ami imaginaire.
Mais l'ami imaginaire et la relation imaginaire à travers l'ami ne sont qu'une partie de l'analogie : on retrouve le concept même du Fight Club dans Calvin et Hobbes :
La première règle du Fight Club est : il est interdit de parler du Fight Club.
La seconde règle du Fight Club : il est INTERDIT de parler du Fight Club.
Dans la bande dessinée, Calvin crée un club qu'il nomme DEFI (pour Dehors Énormes Filles Informes) et qui ressemble de façon effrayante au Fight Club.
D'abord, parce que les deux organisations sont fondées par le personnage principal et son ami imaginaire, et que l'audience visée est exclusivement masculine. Les deux clubs font leurs meetings en secret, majoritairement pour éviter la masse du monde social qui les entoure. Et chacun des clubs permet aux deux fondateurs de se battre régulièrement…
Il est clair que les deux clubs sont là pour exprimer les sentiments sociaux réprimés présents à la fois dans Jack et Calvin. À travers ces clubs, ils peuvent ressentir une certaine camaraderie avec le monde qui les entoure et la façon dont ils l'appréhendent, d'autant que leur plus proche associé (la connaissance imaginaire) a fondé le club avec eux.
Si on se réveillait a une heure différente, dans un endroit différent. Pourrait-on se réveiller dans la peau d'une personne différente ?
On pourrait continuer en disant que Bob – bitch tits – est l'adulte que deviendra Moe, que la scène de la voiture dans Fight Club est similaire aux nombreuses descentes en luge…
De la même façon que Calvin s'échappe de la réalité pour la changer sous la forme d'Hyperman ou du cadet de l'espace Spiff, Jack passe la dernière partie de Fight Club à détruire la civilisation. À la racine des deux œuvres, on retrouve la même idée : une bonne partie des pulsions destructrices viennent de l'incapacité à gérer son introversion.
Les deux ouvrages partagent de nombreux thèmes et personnages aux mêmes motivations et aspirations. C'est dans cette dualité répétée que l'on peut voir les concepts de Calvin et Hobbes déteindre dans l'œuvre ultérieure Fight Club.
Pour aller plus loin (en anglais) :
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